Le trait séduisant
Esquisse, croquis, ébauche, épure ou dessin pleinement accompli, le terme générique de dessin rassemble beaucoup d’autres appellations. Chacun éclaire la façon dont il s’inscrit, dans le déroulement d’un cheminement de recherche, et aussi quel rapport il entretient avec l’idée de l’œuvre « aboutie »; l’œuvre « aboutie », étant une sorte de: » mètre étalon élastique » subjectif. J’imagine que tous les artistes ont expérimenter au moins une fois, le dépassement du point d’achèvement, et ont fait l’expérience du retour de l’élastique comme un boomerang d’une œuvre qui a loupé le point d’arrêt et à basculé. Tellement tendue vers l’achèvement, qu’elle s’est achevée, fermée, effondrée sur elle même.
Tous ces termes englobés dans le mot dessin recouvrent une notion commune de: » territoire d’exploration », qui est l’essence même du dessin.
L’étymologie du mot dessin, nous renvoie d’ailleurs à cette notion de projet puisque, jusqu’au XVII siècle, dessin s’écrivait dessein, issue du mot italien disegno, qui s’est scindé en deux pour donner d’un côté design et de l’autre dessin, laissant donc à la partie dessin cette qualité de terrain de fouille, de chantier à ciel ouvert.
A observer les grottes de Lascaux pour la partie dessinée et celles de Combarelle pour la partie gravée, on pressent l’importance de l’acte qui nous interroge encore aujourd’hui.
Souvent considéré par méprise, comme un acte rapide, en de ça de « l’Art » véritable, sorte d’antichambre où se dérouleraient les préliminaire de l’acte artistique véritable, il n’est pas censé avoir de finalité particulière, de hautes aspirations, et faire une quelconque démonstration de technicité où de savoir- faire. Dégagé de ces contraintes, il s’impose comme l’espace d’investigation expérimental par excellence. Faisant apparaître l’épure de la pensée, il lui donne corps, à proximité de la réflexion. » Alain Kirilli
Le dessin n’est pas en de ça, il est au contraire au centre de toute démarche artistique.
C’est un espace ouvert, vif, à la fois outil, articulation et ressort. Le champs de labour autant que le végétal qui y pousse.
Il est un territoire de recherche et de transformation en relation indissociable avec le vide.
Walter Benjamin écrivait: « Le dessin qui couvrirait entièrement son fond cesserait d’être un dessin « .
Même s’il traite d’un sujet grave, le dessin dans son essence fait contre poids à la peinture et à la sculpture; il reste léger, non par son poids, mais dans le sens ou il s’inscrit dans une phase transitoire en émergence de ce qui apparaît et ce qui disparait. Il rêve a voix haute, dévoilant la pensée de son auteur.
Tout fait dessin et la pensée est un dessin.
Dessin à dessein
Le dessin scénographique est un dessin à dessein au sens propre. La scénographie, graphie de la scène, est intimement liée au dessin. Elle pense en trois dimensions, rêve à voix haute dans son langage silencieux. Un dessin dévoile la pensée de son auteur à ciel ouvert au plus près de l’intimité de celui qui le trace. Si le dessin est une transcription qui peut condenser la troisième dimension, la scénographie, elle, qui est en trois dimensions, condense la quatrième, celle du temps et du mouvement. En effet le dessin et la scénographie s’articulent autour d’ une recherche de spatialisation. C’est certainement l‘une des raisons qui expliquent que nombre de scénographes dans l ‘histoire aient été également des peintres. Ce sens de la transcription prédispose en effet certainement à la mise en tension de l‘imaginaire qui s’opère a travers une scénographie dans des territoires transversaux entre les mots, les images, et l’espaces. Cette capacité visionnaire à inventer des chimères spatiales relevé de mécanismes similaires en dessin et en scénographique.
Mettons les choses à plat, noir sur blanc
Le dessin est une mise à plat. Aplanir, c’est méditer sur l’espace et le temps, sur la relation entre surface et volume, sur la notion d’échelle de cadrage. C’est plier et déplier simultanément le geste et la pensée dans une transcription en raccourci visuel. « Raccourci visuel » un terme de dessin académique, le christ de Mantegna en étant un exemple explicite. L’écriture chorégraphique a des similitudes avec celle du dessin, dans son langage silencieux qui déplie et dépolit son propre dessin dans l‘espace, loin du bavardage.
Le dessin a parfois fonction de fixer une trace, noir sur blanc, les premières lignes d’un projet auquel on donnera le nom de croquis, d’esquisse. C’est aussi le moyen de structurer le foisonnement des idées, d’affûter la pensée et de libérer le geste, de mettre la pensée en tension et en acte.
On croque pour saisir sur le vif des paysages concrets, des impressions, une silhouette, la nature, un mouvement ; on croque pour donner forme à des constructions mentales, abstraites, imaginaires et tenter de retenir une présence, un ressenti, une fulgurance de la pensée. Le dessin n’est pas le lieux du déploiement de la couleur, bien qu’il ne l’exclut pas. C’est le territoire de la ligne, du trait, des contrastes, de la trace, de l’emprunte, du modelé et des valeurs qui vont moduler la lumière. Le jeu de ce qui se noue et se dénoue dans un mouvement contraire.
Comme la peau le dessin
Sorte d’interface entre le moi et le monde, comme la peau, le dessin est une surface réfléchissante dans les deux sens du terme. Il permet d’aiguiser la pensée tout en laissant affleurer le sous- jacent.
Qu’il soit préparatoire, utopique, purement technique, illusionniste mimant l’image du réel, témoin gestuel d’un instant T, sysmographique, onirique, automatique, le dessin est l’un des modes d’expression le plus révélateur, au plus près de l’intimité de l’être.
Il fait affleurer à la surface du visible, cette mince frontière entre pensée et réalité. Il rend visible ce qui ne l’est pas, le rend tangible et concret , tel une membrane sensitive, en lui donnant corps. Il fait un point d’adhérence entre le rêve et le réel.
On oublie souvent qu’un dessin est tactile, avant de devenir visuel. Tactile dans sa façon de naître au monde, dans l’histoire étroite qu’ il entretient avec la main et visuel dans la trace qui rend compte de son apparition. Son apparence est l’aspect résiduel, l’empreinte du geste, le spectre du trinôme cerveau/œil/main, qui révèle, que là, il s’est passé quelque chose. Il peut apparaître ou disparaître, l’outil du négatif étant la gomme, la réserve, la qualité qu’il a de se fondre dans la couleur du papier sur lequel il apparait.
Nous dessinons tous enfant, avant que cette spontanéité ne se recroqueville, pour la plupart, sur le chemin de la vie adulte. Ce sont des moment privilégiés où nous captons une présence de ce qui flotte. La combinaison peut-être d’ une certaine dose de désintérêt pour le réel, et du désir de faire apparaître quelque chose en acte par le dessin à travers lequel on s’invente un monde. Le dessin est un refuge, une façon de » panser » qui répare un rapport cabossé au monde.
Peut-être est -ce la l ‘une des pistes qui éclaire le désir de dessiner.
Une tentative de retenir une sorte de flottement, de dérive de la pensée, pour que l ‘alchimie entre l‘invisible et le visible ai lieu et apparaisse. Je ne veux pas dire par la que le dessin est pure rêverie généré par l’ennui, mais un moyen de faire surgir le réel comme moyen de résistance face à l’insoutenable incursion de la réalité, certainement. Il y a une vertu réparatoire et cicatricielle dans le dessin, comme dans l ‘art en général
J’avais lu il y a plusieurs années, une étude passionnante au sujet d’enfants autistes, dont la pathologie s’estompait, grâce à un travail avec la terre et le dessin; cette rémission semblait s’enraciner dans ce contact quotidien, qui leur permettaient de se refabriquer une peau, pour pallier cette peau défaillante entre eux et le monde. Je pense qu’il y a quelque chose de cette nature chez les gens qui dessinent. Faire un point d’adhérence entre la peau symbolique et la peau réelle, dans une transversalité entre le tactile et l‘immatériel de la pensée.
Voulez vous que je vous fasse un dessin?
Le dessin, a un caractère confidentiel. Il est à fleur de conscience en lien étroit avec la pensée. Il lance des ponts entre l’espace intime et l’espace public. Le regard du dedans , projeté à l’extérieur, par une sorte de retournement, opère une réverbération sur le monde de ce qui apparait. Il conjugue dans une schizophrénie assumée, pudeur et envie d’être vu. Il est en prise directe avec la personnalité de son auteur. C’est une sorte de relais, qu’on met en avant pour rester en arrière, tout en étant vu. Un bouclier perméable qui relève d’un mécanisme complexe, et se fraye une échappatoire des qu’on tente de le définir une façon un peu trop stricte, pour garder sa liberté. Faire dessin c’est établir la possibilité d’une complicité, d’un point d’adhérence entre, le monde intime et secret de l’auteur et le regard du spectateur.
Le temps du dessin.
Si un croquis par nature est rapide et relève d’une sorte de fulgurance, il émane pourtant du dessin une qualité de temps suspendu.
Le dessin est un territoire sédimentaire, un chantier permanent qui a cette liberté, de pouvoir conserver son aspect de chantier. Il est à la fois, l‘outil, le ressort, et le reliquat.
Traits successifs, gommages, réhaus, travail de l’estompe, repentir se superposent pour tendre vers ce qui flotte et s’efforce d’apparaître, jouant du positif autant que du négatif.
Ligne de force
Les lignes de force dirigent le regard du spectateur qui observe une œuvre. Que ce soit un dessin, une peinture, une sculpture ces lignes de forces existent et orientent le chemin de l’œil. Ce sont ces lignes de force qui même si elles peuvent être invisibles, vont donner une dynamique au dessin, tableau. Ce terme s’applique d’ailleurs aussi à une œuvre littéraire ou intellectuelle, tout autant qu’ a un dessin chorégraphique. Ce sont des axes tracés ou non qui permettent à l‘oeil de se frayer un chemin dans la façon de regarder une œuvre . Dans l’observation d’un tableau, les lignes de forces peuvent se dessiner de façon extrêmement variées ; elles peuvent exister à travers le ricochet d‘une couleur, une répétition de rythme ; elles peuvent également exister par des formes géométriques qui n’apparaissent pas visuellement mais qui ont bien été pensées dans la composition de l oeuvre. Par exemple un enchevêtrement de personnage composé à l ‘intérieur d’ un triangle dont on a effacé les contours et dont la présence persiste ; la forme du triangle persiste de façon « fantomatique ». l‘oeil en effet en passant par trois point forts de la vision recomposera ce triangle. L’oeil peut par exemple aussi relier une succession de taches de même couleur. Plusieurs taches rouges dans le tableau seront enregistré par l’œil qui les reliera et se déplacera ainsi à l intérieur du tableau. La ligne de force peut également apparaître à travers un rythme qui se répète, des contrastes, des lignes tracées plus fortement que les autres. La notion de ligne de force évoque une sorte de charpente du dessin. Elles sont l équivalent des poutres maitresses dans une construction qui peuvent être masqués mais conditionnent et structurent tous le dessin des autres.
Des expériences scientifiques très intéressantes ont été menées dans ce domaine : Devant un même tableau une caméra a enregistré le mouvement des yeux de nombre de spectateurs pour mettre à jour justement ce cheminement de l œil dans le dessin et dans le tableau. Or Il s’avère de façon significative que le regard se déplace de la même façon chez la plupart des individus. L’oeil est conduit dans sa lecture. Ces lignes maitresses structurent la composition d‘une œuvre. et constituent l ‘architecture souterraine ou non d’une composition
Divers point de vue sur le dessin
« Dans l’esquisse, l’inachèvement, l’effacement, la répétition, n’apparaissent plus comme des manques ou les signes d’une incomplétudes , mais comme des manifestations fortes, en prises directes avec le processus d’émergence. » Extrait de comme le rêve le dessin, exposition Musée du Louvre, Centre Pompidou 2005.
Une autre notion dégagée à l’occasion de cette exposition, au sujet du dessin, est celle d’un espace lacunaire. Espace lacunaire, qui à l’inverse de certaines peinture réalisées par recouvrements successifs pour tendre vers une façade lisse, rempli, le dessin se maintient dans un état d’élaboration partielle.
En effet par nature le dessins nous offre à voir des phénomènes de stratification où les chronologies se font et se défont . Il met à nue ses propres sinopies, ses hésitations, ses fulgurances, qui en font parties intégrante.
Le dessin permet a la pensée de muer à travers une succession de métamorphoses, condensées.
Dessine moi L’un possible
Dire que le dessin triche est un faux débat, une cheville creuse. Le dessin a cette force de pouvoir condenser la troisième dimension en deux dimensions. L’espace du dessin est à la fois un lieu de spontanéité, de jaillissement, et celui d’une transcription ou les chronologies s’entremêlent dans un rapport au temps parfois anachronique.
Il est un espace de dilatation et de contraction, de la pensée, du temps et de l’espace une tentative de spatialisation. Il peut-être à la fois, utopique et pragmatique, onirique et réaliste, naturaliste et imaginaire. Les surréalistes entre autre ont ouvert de nombreuses pistes extrêmement intéressantes qui trouvent leur prolongement dans le dessin contemporain.
Il est un territoire à la fois continu et parcellaire, lieu et moyen privilégié, de structurer et d’échafauder le réel et l’imaginaire.
Suite du texte en cours d’écriture