Textes

Scénographie

SCENOGRAPHIE La graphie de la scène

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« Une pièce de théâtre doit être le lieu où le monde visible et le monde invisible se touchent et se heurtent.” Adamov

 

« Qu’est ce qu’un artiste voudrait donner à voir qui ne se verrait pas avec évidence » Gilles Deleuze

 

La scénographie est intimement liée au dessin. Le dessin scénographique pense en trois dimensions. Il rêve à voix haute dans son langage silencieux et dévoile la pensée de son auteur à ciel ouvert.

Si le dessin est une transcription qui condense la troisième dimension, la scénographie, qui est en trois dimensions, condense la quatrième, celle du temps et du mouvement.
Le champ scénographique est aussi intimement lié aux mots et aux textes.

Les mots de certains poètes me semblent particulièrement éclairants de cette mise en tension de l’imaginaire qui s’opère dans le langage scénographique. La scénographie convoque en effet une sorte de fulgurance, une vision condensée pour faire apparaître un enchantement aux yeux du monde. Cette force évocatrice des mots mis en tension a son corolaire visuel et sculptural sans pour autant en être une illustration. Quel dispositif inventer en effet pour que les mots de Prévert par exemple dans la page d’écriture s’incarnent et prennent vie ? Que le porte plume redevienne oiseau, et que la craie redevienne falaise?
La fabrication de l’espace scénique est l’aboutissement d’une convergence d’angles de vues, rêvés par l’Auteur, le Metteur en Scène et le Scénographe, qui va convoquer l’imaginaire du spectateur à travers tous ces filtres juxtaposés.

Au carrefour de l’art et de l’artisanat elle joue de l’art du raccourci visuel, temporel et de l’illusionnisme au service de la théâtralité. « Raccourci visuel » un terme de dessin, dont le Christ de Mantegna est un exemple magistral. Raccourcis visuel, ligne de force, contraste, ombre, lumière, trompe-l’œil, profondeur, perspectives, autant de termes de dessin qui s’appliquent aussi à la scénographie.

La scénographie procédé souvent d’un mélange de trouvailles, d’astuces, d’inventions et de savoirs faire techniques pointus qui convergent vers le même désir de faire apparaître un espace, une magie, un poème. Qu’elle soit grave ou légère, épurée ou baroque, onirique ou naturaliste, elle cherche à nous interpeller spatialement.

En ceci elle a quelque chose à voir avec l’art des prestidigitateurs qui peut s’autoriser tous les artifices pour lui insuffler une qualité de présence qui a à voir avec la magie et le merveilleux.

Elle conjugue l’invention et la technique, le pouvoir de suggestion et l’énonciation visuelle; elle offre également l’opportunité d’une distanciation féconde d’un mimétisme avec le réel dans son rapport au modèle qui fait la force de son écriture. Comme le dessin la scénographie est un art de la transcription.

L’une de ses qualités est de pouvoir fabriquer des chimères spatiales qui juxtaposent des mondes de natures opposés: Par exemple faire cohabiter la fragilité d’une boite à musique avec la violence et la dureté d’une machine de guerre ; jouant autant de l’écriture des contrastes, que d’une théâtralisation de la vision dans sa façon de contraindre l’espace.

Le théâtre a cette force extraordinaire de pouvoir convoquer des absents particulièrement présents, et d’absenter des présents. Je pense notamment à: « en attendant Godot » de Samuel Beckett. La scénographie elle aussi peu incarner la vie ou son absence de façon percutante, tragique ou comique.
Pour ma part j‘envisage la scénographie en peintre et en sculpteur (ma première formation) avec la dimension du mouvement potentiel. Je ne parlerai pas d’image scénique même si la scénographie peut-être constituée d’éléments peints qui représentent quelque chose. Je lui préfère le terme de dispositif scénique qui renvoi davantage à la sculpture et donc à l‘espace. De la phase de recherche par le dessin et la maquette jusqu’à la réalisation à l’échelle1 du décor, le travail scénographique me plonge dans un état jubilatoire. Le théâtre m’offre une occasion de voyager à travers les époques, les styles, les échelles, ce qui répond sans doute à ma fascination pour les métamorphoses, mon aspiration aux changements et également à un profond désir de jouer à nouveau l’espace et le temps autrement qu’ils ne sont dans le réel.

Scénographe

En ce qui concerne le scénographe, ma définition sera résolument orientée sur le versant créatif du travail du scénographe. En effet dans le travail scénographique il y a toute cette phase de recherche par le dessin et la maquette, celle qui donne au scénographe sa légitimité d’auteur. Car même si la scénographie requiert des connaissances techniques ce sont les idées et leur impulsion, celles d’un univers singulier qui signent la paternité d’une création. Bien sur tous les scénographes et les artistes se nourrissent de ce qu’ils voient et ont vécu; nous fonctionnons tous comme des éponges et cette dimension de mimétisme est partie intégrante de notre évolution, mais toute création s’appuie sur un vécu singulier qui fait sens et empreinte. Une création est une empreinte.


Qu’il utilise le dessin, ou la maquette traditionnelle comme terrain de fouille préliminaire pour les propositions faites au metteur en scène, le scénographe donne corps à sa vision à travers ce modèle réduit. La maquette lui servira à la fois de base d’argumentation et de référence pour déterminer un vocabulaire formel et la tonalité générale du décor. Toutes ces indications vont baliser par la suite le choix des matériaux, des textures, des matières et des techniques choisies pour sublimer et enrichir les intentions de la maquette sur le chemin de la réalisation à l‘échelle.1 du décor.


En ce qui concerne la maquette trois D numérique qui permet des simulations, elle se rattache plus au monde virtuel des images qu’aux trois dimensions du théâtre.
En effet si cette technique permet d’avoir un rendu séduisant entre autre d’ajouter lumières et mouvements, le vivant et l‘aléatoire n ‘y ont pas place : une tache d’encre qui diffuse, d’un fusain qui se casse, d’un pinceau qui s’écrase, donnent une qualité à la ligne directement en prise avec la sensibilité de son auteur. Tous ces accidents ouvrent la voie de l‘imaginaire.
Que seraient les encres de Victor Hugo sans son génie qui a su les faire dériver vers des paysages imaginaires ?
Que resterait-il du trait d’Egon Schiele sans son caractère noueux, tortueux, s’il était coupé de la personnalité écorchée de son auteur qui lui confère une qualité quasi sysmographique ?


Les images numériques produisent des stéréotypes. En tout état cause un logiciel n ‘a pas la spontanéité du geste et de l‘esprit. Il ne saura pas dessiner de lui même et ne remplacera pas chez son utilisateur la maîtrise du dessin.
Tous ce qui est artistique est en effet du domaine du sensible et constitué autant de ce qui réussi que de ce qui rate, or la machine n‘ a pas cette marge de manoeuvre ni cette cette qualité ; elle ne rate pas.
Il existe certes des fonctions qui font genre dessin au fusain, qui simulent des effets. Simuler: l‘antithèse du théâtre qui met tout son talent à incarner les textes, les corps, les personnages, les espaces.

L’avancée de ces techniques informatiques relance ce débat vieux comme le monde de la machine qui pourrait remplacer l‘homme. Si ces techniques peuvent servirent la recherche, elles ne peuvent se substituer à la réflexion et à la sensibilité.


Le scénographe invente des espaces destinés à être habités par les comédiens. En ceci il lui faut être un peu visionnaire. Il dessine, d’abord en pensée, puis noir sur blanc sur le papier, ( mettons les choses à plat) et à travers une maquette, pour faire apparaître cet espace aux yeux du monde. Qu’il vienne de la peinture, de la construction, ou d’un autre horizon, il est pétri de son parcours en amont et c’est avant tout un univers qu’il propose, chevillé à la fois aux indications du metteur en scène, au texte, mais aussi à sa propre créativité.

Nombre de scénographe dans l’histoire ont été également des peintres. En effet la scénographie tout comme la peinture interroge l’écriture d’une spatialisation. En ceci la pratique du dessin et de la peinture prédispose peut-être à cette sensibilité particulière. C’est ce sens de l’écriture spatiale, qui lui permet de faire surgir une poésie de l’espace. Il sculpte l’espace et façonne donc aussi la qualité de la lumière pour attraper le frémissement du vivant.


Le métier de scénographe nécessite bien sur d’avoir une bonne connaissance du plateau et la maîtrise d’un ensemble de techniques relatives à la conception et à la réalisation d’un décor sinon comment passer du rêve à la réalisation. Ses connaissances en dessin, couleur, sculpture, perspective s’accompagnent d’un sens de la mise en scène, sinon comment projeter autre chose que du décorum. Ne sachant en général pas tout faire, même s’il est assez polyvalent, il harmonise différents corps de métier et partenaires: peintre, constructeur, menuisier, serrurier, etc…. Au carrefour de l’Art et de l’Artisanat le scénographe tel un chef d’orchestre coordonne le travail d’une équipe autour de son projet.


Si un décor ne se limite pas à la beauté de son apparence et doit répondre à des normes techniques, il doit néanmoins, aussi nous faire oublier sa technicité pour nous emmener ailleurs, dans sa poétique et sa capacité à nous faire rêver. La technique est nécessaire mais un décor n’est pas une démonstration de savoir faire. Il ne déguise pas l‘espace par des images il lui donne du sens et une potentialité de jeu.


Un certain nombre de scénographes ont également en parallèle de leur travail, une recherche plus personnelle qui sous tend l’univers qu’ils peuvent proposer au théâtre.

Un scénographe est une sorte de caméléon des espaces, qui invente des chimères spatiales qui accompagnent, servent, propulsent, contraignent, prolongent le jeu des comédiens. Une scénographie est une sorte d’acteur muet chevillé dans le sens à l’opposé du décorum au sens qu’il a de nos jours.

 

Un décor n‘est pas un déguisement. Le théâtre n‘est pas faire semblant. Une scénographie tout comme un dessin n‘est pas une image ce qui n‘exclu en rien qu’elle soit constituée de parties figuratives.
Autant de confusions sur lesquelles il y à beaucoup à dire.
La nécessité de rejouer le monde autrement est a mon sens l‘un des moteurs de l’écriture scénographique, qui répare un rapport blessé au monde qui nous entoure.

 

« L‘oeuvre de Giacometti me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l’homme quand les faux semblants seront enlevés……Et quand il réussi à défaire l‘objet ou l‘être choisi, de ses faux semblants utilitaires, l‘image qu’il nous donne est magnifique…..Il n‘est pas à la beauté d’ autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde.
Il y a donc loin de cet art la, à ce qu’on nomme le misérabilisme.

L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu‘elle les illumine. »

 

Jean Genet à propos d ‘Alberto Giacometti

Peintre décoratrice

Le peintre décorateur assure la transposition en vrai grandeur, à l’échelle 1 des éléments peints du décor et des toiles scénographiques. Il peint également les sols, tapis de danse, lino, sol en bois et les éléments construits du décor. Il réalise également des patines qui leur donneront un soupçon de vie en plus.

Il travaille en quelque sorte la peau du décor. Une peau intelligente et sensible qui fait affleurer à la surface une qualité du visibles. Mais son travail ne résume pas à l’aspect de surface. Il révèle en lumière, l’âme, la tonalité, le grain de peau en quelque sorte du décor en harmonie avec les intentions du scénographe et du metteur en scène. Il est souvent amené à travailler également les matières qui vont jouer sur la qualité de la lumière.

Cela sous entend que metteur en scène, scénographe et peintre décorateur, travaillent en étroite collaboration, chacun apportant à l’œuvre commune, ses connaissances et ses compétences particulières.

Il travaille également souvent en amont de la réalisation, au stade de la maquette, et met sa sensibilité, sa vision, ses connaissances techniques au service du projet. Il doit avoir de solides bases de dessin, couleur, peinture, trompe-l‘oeil, matièrage, histoire de l’art et des connaissances techniques des produits et matières, outils spécifiques qu’il utilise pour parvenir à l’effet souhaité.

Cette peau interface, est au cœur de sa réflexion. C’est à partir de là qu’il donnera ses couleurs à l’environnement. Les éléments construits nécessitent eux aussi d’être enrichis en matières, peinture et patines. Un volume sculpté en ronde bosse a besoin d’être accompagné en peinture ou patine : cette opération l’aidera à prendre corps et à tourner en lumière.

Il saura également accentuer une profondeur ou au contraire l’atténuer; il pourra tour à tour renforcer une perspective ou l’estomper, par la magie de ses pinceaux.

Il peut en un mot s’autoriser tous les artifices pour faire apparaître une magie, un enchantement.En effet comme pour la scénographie, il s’agit de faire émerger la poésie du décor.


Qu’il soit de facture naturaliste, expressionniste, onirique, absurde, tragique ou comique, chaque nouveau décor est prétexte à inventer des matières, une façon de peindre, des patines qui forgeront l’écriture singulière de ce décor.

Le peintre décorateur invente un vocabulaire formel, une écriture picturale.
Il
joue de l’art de l’illusion qui prend ses racines à la Renaissance (invention de la perspective) et atteint son apogée à l’époque Baroque. L’illusionnisme trouve en effet de multiples prolongements dans le théâtre et l’art d’aujourd’hui.

Il met son talent à trouver l’écriture de ce changement d’échelle qui ne peut se contenter de reproduire à l’identique, telle une photocopie, mais doit bien trouver les moyens techniques de cette transcription.


Il est parfois amené à s’inventer des outil spécifiques, pour ne pas seulement reproduire à l’identique, mais trouver une transcription qui va sublimer et enrichir les intentions de la maquette, trouver une adaptation d’écriture plastique pour que cette enjambée du petit au grand fonctionne et qu’Alice puisse passer de l’autre côté du miroir .

Un décor de théâtre, à la différence d’un décor de cinéma créé pour une prise de vue cinématographique reste plus longtemps devant l’œil du spectateur qui s’y pose le temps de la représentation et il importe de lui offrir matière à regarder.

Aujourd’hui, face aux perspectives ouvertes par l’outil informatique et les impressions numériques, l’aspect fait main semble parfois relégué aux oubliettes. Cette tendance renforcée par les phénomènes de mode derrière lesquels se cachent nombres de créateurs en mal d’idée, tend vers une uniformisation des décors. On ne veut plus payer ni investir dans le travail de la main de l’homme. Si les nouvelles technologies ont ouvert une voie, elles ne sauraient escamoter la richesse d’une intervention humaine. C’est une tendance qui s’étend d’ailleurs à tous les domaines artistiques.

Plutôt que de les envisager comme l’une étant l’ennemi de l’autre, le peintre décorateur saura les conjuguer, en intelligence. Les impressions numériques et les techniques de projection et de reports d’images, (opascope, rétroprojecteur, vidéo-projecteur) offrent une sorte de canevas de base, à grande échelle, qui permet d’économiser le travail du tracé, mais elles nécessitent souvent une réinterprétation en aval. Il serait évidemment stupide de se priver du gain de temps qu’offrent ces techniques. Il ne s’agit pas de réinventer empiriquement le fil à couper le beurre, mais sans la sensibilité de l’intervention du peintre décorateur, on ne se dégagera pas d’une impression de rendu mécanique, au sens propre du terme, de prêt-à- porter, qui n’échappera pas à un œil avisé.

L’impression numérique édulcore les couleurs et leur donne un aspect voilé. Si cette technique est parfois utilisée, il est souvent nécessaire de rehausser les couleurs; on parle de repiquer les couleurs, leur donner du piquant, du grain, de la matière. La main du peintre décorateur saura insuffler une âme, une vie dans la peinture, redessiner les lignes de forces, sans quoi on obtient un rendu fade et sans âme.


Sans cette incontournable réflexion sur les possibilités des diverses techniques, et sur le talent, la sensibilité et l‘oeil du peintre décorateur on prend le risque de produire des images creuses, semblables à des posters désincarnées.

« Désincarné », l’antithèse du théâtre qui met tout son talent à incarner les textes, les rôles, l’espace, les personnages, les corps, qu’ils soient présents ou absents. Un décor est une convergence de faisceaux. Il a été rêvé et pensé plusieurs fois sous des angles différents, metteur en scène, scénographe, peintre décorateur, éclairagiste. Des angles de vue différents complémentaires qui convergent dans un même désir de créer un enchantement.

Décors en quête d'acteur

Texte à venir

A propos du Dessin

Le trait séduisant

 

Esquisse, croquis, ébauche, épure ou dessin pleinement accompli, le terme générique de dessin rassemble beaucoup d’autres appellations. Chacun éclaire la façon dont il s’inscrit, dans le déroulement d’un cheminement de recherche, et aussi quel rapport il entretient avec l’idée de l’œuvre « aboutie »; l’œuvre « aboutie », étant une sorte de:  » mètre étalon élastique » subjectif. J’imagine que tous les artistes ont expérimenter au moins une fois, le dépassement du point d’achèvement, et ont fait l’expérience du retour de l’élastique comme un boomerang d’une œuvre qui a loupé le point d’arrêt et à basculé. Tellement tendue vers l’achèvement, qu’elle s’est achevée, fermée, effondrée sur elle même.
Tous ces termes englobés dans le mot dessin recouvrent une notion commune de:  » territoire d’exploration », qui est l’essence même du dessin.

L’étymologie du mot dessin, nous renvoie d’ailleurs à cette notion de projet puisque, jusqu’au XVII siècle, dessin s’écrivait dessein, issue du mot italien disegno, qui s’est scindé en deux pour donner d’un côté design et de l’autre dessin, laissant donc à la partie dessin cette qualité de terrain de fouille, de chantier à ciel ouvert.

A observer les grottes de Lascaux pour la partie dessinée et celles de Combarelle pour la partie gravée, on pressent l’importance de l’acte qui nous interroge encore aujourd’hui.

Souvent considéré par méprise, comme un acte rapide, en de ça de « l’Art » véritable, sorte d’antichambre où se dérouleraient les préliminaire de l’acte artistique véritable, il n’est pas censé avoir de finalité particulière, de hautes aspirations, et faire une quelconque démonstration de technicité où de savoir- faire. Dégagé de ces contraintes, il s’impose comme l’espace d’investigation expérimental par excellence. Faisant apparaître l’épure de la pensée, il lui donne corps, à proximité de la réflexion. » Alain Kirilli


Le dessin n’est pas en de ça, il est au contraire au centre de toute démarche artistique.
C’est un espace ouvert, vif, à la fois outil, articulation et ressort. Le champs de labour autant que le végétal qui y pousse.
Il est un territoire de recherche et de transformation en relation indissociable avec le vide.


Walter Benjamin écrivait: « Le dessin qui couvrirait entièrement son fond cesserait d’être un dessin « .

Même s’il traite d’un sujet grave, le dessin dans son essence fait contre poids à la peinture et à la sculpture; il reste léger, non par son poids, mais dans le sens ou il s’inscrit dans une phase transitoire en émergence de ce qui apparaît et ce qui disparait. Il rêve a voix haute, dévoilant la pensée de son auteur.

Tout fait dessin et la pensée est un dessin.

 

Dessin à dessein

 

Le dessin scénographique est un dessin à dessein au sens propre. La scénographie, graphie de la scène, est intimement liée au dessin. Elle pense en trois dimensions, rêve à voix haute dans son langage silencieux. Un dessin dévoile la pensée de son auteur à ciel ouvert au plus près de l’intimité de celui qui le trace. Si le dessin est une transcription qui peut condenser la troisième dimension, la scénographie, elle, qui est en trois dimensions, condense la quatrième, celle du temps et du mouvement. En effet le dessin et la scénographie s’articulent autour d’ une recherche de spatialisation. C’est certainement l‘une des raisons qui expliquent que nombre de scénographes dans l ‘histoire aient été également des peintres. Ce sens de la transcription prédispose en effet certainement à la mise en tension de l‘imaginaire qui s’opère a travers une scénographie dans des territoires transversaux entre les mots, les images, et l’espaces. Cette capacité visionnaire à inventer des chimères spatiales relevé de mécanismes similaires en dessin et en scénographique.

 

Mettons les choses à plat, noir sur blanc

 

Le dessin est une mise à plat. Aplanir, c’est méditer sur l’espace et le temps, sur la relation entre surface et volume, sur la notion d’échelle de cadrage. C’est plier et déplier simultanément le geste et la pensée dans une transcription en raccourci visuel. « Raccourci visuel  » un terme de dessin académique, le christ de Mantegna en étant un exemple explicite. L’écriture chorégraphique a des similitudes avec celle du dessin, dans son langage silencieux qui déplie et dépolit son propre dessin dans l‘espace, loin du bavardage.

Le dessin a parfois fonction de fixer une trace, noir sur blanc, les premières lignes d’un projet auquel on donnera le nom de croquis, d’esquisse. C’est aussi le moyen de structurer le foisonnement des idées, d’affûter la pensée et de libérer le geste, de mettre la pensée en tension et en acte.
On croque pour saisir sur le vif des paysages concrets, des impressions, une silhouette, la nature, un mouvement ; on croque pour donner forme à des constructions mentales, abstraites, imaginaires et tenter de retenir une présence, un ressenti, une fulgurance de la pensée. Le dessin n’est pas le lieux du déploiement de la couleur, bien qu’il ne l’exclut pas. C’est le territoire de la ligne, du trait, des contrastes, de la trace, de l’emprunte, du modelé et des valeurs qui vont moduler la lumière. Le jeu de ce qui se noue et se dénoue dans un mouvement contraire.

 

Comme la peau le dessin

 

Sorte d’interface entre le moi et le monde, comme la peau, le dessin est une surface réfléchissante dans les deux sens du terme. Il permet d’aiguiser la pensée tout en laissant affleurer le sous- jacent.

Qu’il soit préparatoire, utopique, purement technique, illusionniste mimant l’image du réel, témoin gestuel d’un instant T, sysmographique, onirique, automatique, le dessin est l’un des modes d’expression le plus révélateur, au plus près de l’intimité de l’être.

Il fait affleurer à la surface du visible, cette mince frontière entre pensée et réalité. Il rend visible ce qui ne l’est pas, le rend tangible et concret , tel une membrane sensitive, en lui donnant corps. Il fait un point d’adhérence entre le rêve et le réel.

On oublie souvent qu’un dessin est tactile, avant de devenir visuel. Tactile dans sa façon de naître au monde, dans l’histoire étroite qu’ il entretient avec la main et visuel dans la trace qui rend compte de son apparition. Son apparence est l’aspect résiduel, l’empreinte du geste, le spectre du trinôme cerveau/œil/main, qui révèle, que là, il s’est passé quelque chose. Il peut apparaître ou disparaître, l’outil du négatif étant la gomme, la réserve, la qualité qu’il a de se fondre dans la couleur du papier sur lequel il apparait.

Nous dessinons tous enfant, avant que cette spontanéité ne se recroqueville, pour la plupart, sur le chemin de la vie adulte. Ce sont des moment privilégiés où nous captons une présence de ce qui flotte. La combinaison peut-être d’ une certaine dose de désintérêt pour le réel, et du désir de faire apparaître quelque chose en acte par le dessin à travers lequel on s’invente un monde. Le dessin est un refuge, une façon de  » panser  » qui répare un rapport cabossé au monde.

Peut-être est -ce la l ‘une des pistes qui éclaire le désir de dessiner.

Une tentative de retenir une sorte de flottement, de dérive de la pensée, pour que l ‘alchimie entre l‘invisible et le visible ai lieu et apparaisse. Je ne veux pas dire par la que le dessin est pure rêverie généré par l’ennui, mais un moyen de faire surgir le réel comme moyen de résistance face à l’insoutenable incursion de la réalité, certainement. Il y a une vertu réparatoire et cicatricielle dans le dessin, comme dans l ‘art en général

J’avais lu il y a plusieurs années, une étude passionnante au sujet d’enfants autistes, dont la pathologie s’estompait, grâce à un travail avec la terre et le dessin; cette rémission semblait s’enraciner dans ce contact quotidien, qui leur permettaient de se refabriquer une peau, pour pallier cette peau défaillante entre eux et le monde. Je pense qu’il y a quelque chose de cette nature chez les gens qui dessinent. Faire un point d’adhérence entre la peau symbolique et la peau réelle, dans une transversalité entre le tactile et l‘immatériel de la pensée.

 

Voulez vous que je vous fasse un dessin?

 

Le dessin, a un caractère confidentiel. Il est à fleur de conscience en lien étroit avec la pensée. Il lance des ponts entre l’espace intime et l’espace public. Le regard du dedans , projeté à l’extérieur, par une sorte de retournement, opère une réverbération sur le monde de ce qui apparait. Il conjugue dans une schizophrénie assumée, pudeur et envie d’être vu. Il est en prise directe avec la personnalité de son auteur. C’est une sorte de relais, qu’on met en avant pour rester en arrière, tout en étant vu. Un bouclier perméable qui relève d’un mécanisme complexe, et se fraye une échappatoire des qu’on tente de le définir une façon un peu trop stricte, pour garder sa liberté. Faire dessin c’est établir la possibilité d’une complicité, d’un point d’adhérence entre, le monde intime et secret de l’auteur et le regard du spectateur.

 

Le temps du dessin.

 

Si un croquis par nature est rapide et relève d’une sorte de fulgurance, il émane pourtant du dessin une qualité de temps suspendu.

Le dessin est un territoire sédimentaire, un chantier permanent qui a cette liberté, de pouvoir conserver son aspect de chantier. Il est à la fois, l‘outil, le ressort, et le reliquat.

Traits successifs, gommages, réhaus, travail de l’estompe, repentir se superposent pour tendre vers ce qui flotte et s’efforce d’apparaître, jouant du positif autant que du négatif.

 

Ligne de force

 

 

Les lignes de force dirigent le regard du spectateur qui observe une œuvre. Que ce soit un dessin, une peinture, une sculpture ces lignes de forces existent et orientent le chemin de l’œil. Ce sont ces lignes de force qui même si elles peuvent être invisibles, vont donner une dynamique au dessin, tableau. Ce terme s’applique d’ailleurs aussi à une œuvre littéraire ou intellectuelle, tout autant qu’ a un dessin chorégraphique. Ce sont des axes tracés ou non qui permettent à l‘oeil de se frayer un chemin dans la façon de regarder une œuvre . Dans l’observation d’un tableau, les lignes de forces peuvent se dessiner de façon extrêmement variées ; elles peuvent exister à travers le ricochet d‘une couleur, une répétition de rythme ; elles peuvent également exister par des formes géométriques qui n’apparaissent pas visuellement mais qui ont bien été pensées dans la composition de l oeuvre. Par exemple un enchevêtrement de personnage composé à l ‘intérieur d’ un triangle dont on a effacé les contours et dont la présence persiste ; la forme du triangle persiste de façon « fantomatique ». l‘oeil en effet en passant par trois point forts de la vision recomposera ce triangle. L’oeil peut par exemple aussi relier une succession de taches de même couleur. Plusieurs taches rouges dans le tableau seront enregistré par l’œil qui les reliera et se déplacera ainsi à l intérieur du tableau. La ligne de force peut également apparaître à travers un rythme qui se répète, des contrastes, des lignes tracées plus fortement que les autres. La notion de ligne de force évoque une sorte de charpente du dessin. Elles sont l équivalent des poutres maitresses dans une construction qui peuvent être masqués mais conditionnent et structurent tous le dessin des autres.

Des expériences scientifiques très intéressantes ont été menées dans ce domaine : Devant un même tableau une caméra a enregistré le mouvement des yeux de nombre de spectateurs pour mettre à jour justement ce cheminement de l œil dans le dessin et dans le tableau. Or Il s’avère de façon significative que le regard se déplace de la même façon chez la plupart des individus. L’oeil est conduit dans sa lecture. Ces lignes maitresses structurent la composition d‘une œuvre. et constituent l ‘architecture souterraine ou non d’une composition

 

 

Divers point de vue sur le dessin

 

« Dans l’esquisse, l’inachèvement, l’effacement, la répétition, n’apparaissent plus comme des manques ou les signes d’une incomplétudes , mais comme des manifestations fortes, en prises directes avec le processus d’émergence. » Extrait de comme le rêve le dessin, exposition Musée du Louvre, Centre Pompidou 2005.

Une autre notion dégagée à l’occasion de cette exposition, au sujet du dessin, est celle d’un espace lacunaire. Espace lacunaire, qui à l’inverse de certaines peinture réalisées par recouvrements successifs pour tendre vers une façade lisse, rempli, le dessin se maintient dans un état d’élaboration partielle.

En effet par nature le dessins nous offre à voir des phénomènes de stratification où les chronologies se font et se défont . Il met à nue ses propres sinopies, ses hésitations, ses fulgurances, qui en font parties intégrante.

Le dessin permet a la pensée de muer à travers une succession de métamorphoses, condensées.

 

Dessine moi L’un possible

 

 

Dire que le dessin triche est un faux débat, une cheville creuse. Le dessin a cette force de pouvoir condenser la troisième dimension en deux dimensions. L’espace du dessin est à la fois un lieu de spontanéité, de jaillissement, et celui d’une transcription ou les chronologies s’entremêlent dans un rapport au temps parfois anachronique.

Il est un espace de dilatation et de contraction, de la pensée, du temps et de l’espace une tentative de spatialisation. Il peut-être à la fois, utopique et pragmatique, onirique et réaliste, naturaliste et imaginaire. Les surréalistes entre autre ont ouvert de nombreuses pistes extrêmement intéressantes qui trouvent leur prolongement dans le dessin contemporain.

Il est un territoire à la fois continu et parcellaire, lieu et moyen privilégié, de structurer et d’échafauder le réel et l’imaginaire.

 

 

Suite du texte en cours d’écriture